La science dans le monde arabo-musulman

À la mort de Mahomet, un califat dynastique appelé Omeyyade administrait les territoires dominés par l’Islam. Les quatre califes Omeyyades refusaient tout mouvement intellectuel profane, ce qui explique à cette période l’impossibilité de l’émergence d’une culture et d’une science dans cette région. Or, en 750, un basculement majeur s’opéra : lors de la bataille du Grand Zab, les Abbassides, adversaires des Omeyyades, triomphèrent : c’est la fin du califat Omeyyade, remplacé par le califat Abbasside.

À partir de cette date, le califat fut centralisé à Bagdad, ceci afin d’affirmer une continuité avec les grands États moyen-orientaux de l’Antiquité : les royaumes assyriens et babyloniens, et surtout les empires perses. Comme le feront plus tard les Occidentaux à la Renaissance, les Abbassides, dans l’ancienne Mésopotamie ou à Alexandrie, utilisèrent les connaissances scientifiques grecques pour bâtir la science arabe. L’unité linguistique du territoire favorisa la construction d’une connaissance globale : tous les textes grecs (Euclide, Aristote, Archimède, Démocrite…) à disposition étaient traduits en arabe et tous les savants de la période écrivaient dans cette langue. De plus, le développement des voies de communication et la technique de fabrication du papier permirent un meilleur échange de connaissances entre les scientifiques. En effet, lors de la bataille de Talas en 751, les Arabes avaient fait prisonniers nombre de Chinois, dont certains connaissaient le processus de fabrication du papier.

Scytale

La Maison de la sagesse, dont le bâtiment demeure aujourd'hui

C’est au IXe siècle que la civilisation arabe connut son apogée, notamment scientifique. Le calife Al-Mamun créa une Maison de la sagesse à Bagdad : c’était alors un centre culturel majeur où échangeaient des mathématiciens de tous horizons. A cette époque pacifiste, les Arabes et notamment leurs dirigeants utilisaient couramment différents chiffres monoalphabétiques pour communiquer d’importantes missives.

La naissance de la cryptanalyse

Les Arabes ont acquis une place importante dans l’histoire des codes secrets à partir des méthodes existantes. Ils ont justement, pour la première fois de l’histoire, entrepris et réussi à les briser de façon méthodique ! Et c’est de là que, grâce à cette curiosité intellectuelle, est née la cryptanalyse.

Les Arabes, historiquement, cherchaient à prouver l’authenticité et à ordonner chronologiquement les révélations de leur prophète Mahomet. Celles-ci ont certes été notées par écrit de son vivant, mais seulement par fragments. Des érudits, et notamment l’un des plus grands savants arabes, le philosophe et scientifique Al-Kindi (800-873), ont entrepris d’analyser chaque mot des textes pour savoir s’ils étaient déjà utilisés à cette époque, car en effet, certains mots sont apparus après d’autres.

Carthage

Le savant Al-Kindi

Ils se sont aussi intéressés aux lettres mêmes, et ils ont remarqué que certaines se retrouvaient bien plus souvent que d’autres. Par exemple en Français, il est bien plus courant d’écrire un ‘e’ qu’un ‘w’ (voir figure ci-dessous, basée sur les statistiques de Simon Singh, Histoire des codes secrets). Cette étude s’appelle l’analyse des fréquences.

Carthage

Dans le cas d’un message chiffré avec la substitution monoalphabétique, un symbole (une lettre dans le cas du chiffre de César, une combinaison de deux chiffres pour le carré de Polybe) représente toujours la même lettre. Il convient alors de remplacer le symbole le plus fréquent du message chiffré par la lettre E (qui est la lettre la plus fréquente en français), et d’en déduire les autres. Ce principe n’est véritablement applicable que si le message contient une grande quantité de symboles afin que les fréquences soient statistiquement significatives.

Rendant obsolète la substitution monoalphabétique pratiquée par toutes les civilisations antiques, la cryptanalyse arabe ouvrit une nouvelle ère en cryptologie. Toutefois ces travaux parvinrent en Occident plusieurs siècles après ; c’est pourquoi l’invention de nouvelles techniques ne survint qu’à la Renaissance. En Orient, l’hégémonie du califat minimisait l’enjeu de la confidentialité des communications.

Analyse des fréquences :

En bleu les fréquences d'apparition des lettres en français, et en vert celles dans le texte analysé

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